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jeudi 10 avril 2014

Entretien avec Emmanuel Derrien, blessé

Rencontre avec Emmanuel DERRIEN, une troisième victime (après Quentin Torselli et Damien Tesssier) d'une blessure très grave à l'oeil causée par la police lors de la manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à Nantes le 22 février 2014.

Emmanuel risque une infirmité permanente de cet œil, par perte de la vision.

Photo : « Selfie » (photo en autoportrait prise par Emmanuel lui même à l'hôpital le 22 février 2014, jour de la manifestation anti-aéroport).
>> Qui es-tu Emmanuel ?
Je m'appelle Emmanuel Derrien. J'ai 24 ans et suis originaire de Quimper en Bretagne. Je suis cuisinier de métier. Je suis arrivé récemment à Nantes pour y chercher un emploi. 
>> Quelle blessure t'a provoqué la police pendant la manifestation du 22 février ?
C'est comme Damien : une « contusion sévère de bloc oculaire », avec quelques points de suture à l'arcade. Je n'ai pas les mots exacts. J'ai une cataracte post-traumatique de l'oeil droit, qui m'empêche de voir. Les médecins me parlent d'un projet d'opération de la cataracte. L'exercice de la vision m'est difficile avec un seul œil. 
>> Étais-tu manifestant contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?
Je me déplaçais dans la ville pour rechercher un restaurant, pour trouver un emploi. Ma curiosité m'a emmené sur le lieu de la manifestation. 
>> Que s'est-il passé exactement ?
C'était vers 17 heures, sur la pelouse entre l'Hôtel-Dieu et l'Île-Feydeau. Il y a un arbre isolé à cet endroit. Il y avait du monde, avec une rangée de manifestants en face des CRS. J'ai essayé de surplomber pour mieux voir. Je portais un keffieh. Tout à coup, j'ai ressenti quelque chose qui m'a percuté, qui m'a fait tomber au sol, net. J'ai dû faire une perte de connaissance.
J'ai entendu des voix bienveillantes qui disaient « Mais oui, il saigne ! ». Ces personnes m'ont transporté en essayant de me garder éveiller jusqu'aux urgences de l'hôpital.
Dans les couloirs, il y avait énormément de blessés issus de la manifestation, beaucoup allongés sur des brancards, beaucoup en train de vomir.
La nuit même, on m'a endormi pour faire une exploration du globe oculaire. J'ai eu l'impression d'être un cobaye. Au réveil, c'était horriblement douloureux.
Je suis resté à l'hôpital quatre jours, chambre 559.
J'ai fait la demande de mon dossier médical, mais on m'a répondu qu'il n'était pas complet. Je suis dans l'attente. 
>> As-tu prévu de porter plainte ?
Oui bien sûr. Je ressens de l'incompréhension et de la colère face à ce geste de la police.
(Propos recueillis par Luc Douillard les 8 et 9 avril 2014. Cet interview, comme celui de Damien le 8 mars, a été relu et corrigé par l'intéressé pour être rediffusé largement, avec la photo jointe.)