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lundi 3 mars 2014

"Silence médiatique" sur Bastamag

Notre-Dame-des-Landes

Silence médiatique sur les dizaines de manifestants et de journalistes blessés à Nantes



Oubliées les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté à Nantes contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. De la mobilisation du 22 février, les médias n’ont conservé que les images de violences. Selon la Préfecture, 130 agents des forces de l’ordre ont été blessés ou « contusionnés ». Mais quel bilan du côté des manifestants venus défiler pacifiquement ? Les témoignages s’accumulent, de Quentin, un jeune homme éborgné par un tir de flashball, à des journalistes pris pour cibles, en passant par un enfant dont le pied a été fracturé par un tir. Mais de cette autre violence, on ne parle quasiment pas.
Photo : Eric Forhan/tous droits réservés
Les médias se sont largement fait l’écho des « scènes de violence » et des « destructions » qui ont émaillé la manifestation de Nantes, dont le centre-ville aurait été « dévasté », le 22 février contre le projet d’aéroport. Le décompte des « blessés et contusionnés » parmi les forces de l’ordre – 130 fonctionnaires de police – a rapidement été établi par la Préfecture. La Justice a fait preuve d’une inhabituelle réactivité. Cinq jeunes gens à qui il est reproché d’avoir lancé des projectiles – « pavés, pierres, fusées de détresse, bouteilles, boulons, billes d’acier, engins incendiaires et même "essence et huile" » selon un magistrat – contre les forces de l’ordre, ont été jugés en comparution immédiate le 24 février. « Nous n’avons pas les vrais coupables [des dégradations commises à Nantes] », a reconnu la présidente du tribunal. « Mais nous avons des responsables »... Les cinq prévenus ont écopé de peines lourdes allant d’une centaine d’heures de travaux d’intérêt général à six mois de prison ferme. Sept autres personnes seront convoquées dans les mois à venir. Une violence « inouïe », atteste sur son compte twitter la police nationale de Loire-Atlantique. « Qui sont les "Black Blocs" qui ont dévasté Nantes » ?, s’interroge encore Europe 1.



Pas de matraquage médiatique en revanche sur les manifestants blessés. « C’est impossible à évaluer à l’échelle de la ville. Mais nous avons constaté une cinquantaine de blessés, dont treize blessures au visage par flashball », relève une membre de l’équipe médicale de la Zad (Zone à défendre) contactée par Basta !. « Nous avons aussi trouvé des éclats de grenades assourdissantes, comme des morceaux de métal, dans les jambes notamment ». Au moins 40 manifestants, dont deux blessés à l’œil, auraient été admis à l’hôpital de Nantes. Une page Facebook a été créée pour recueillir les « témoignages sur les violences policières lors de cette manifestation pacifiste » [1]. « Je me suis fait frapper par les forces de l’ordre en voulant aider une dame âgée qu’ils avaient renversés », déclare notamment Elric, 17 ans et demi, visage en sang devant la caméra de FaceBreizh Bretagne. La scène au cours de laquelle la dame est « renversée » (et piétinée ?) a été filmée et postée sur cette page.

Tir de flashball : un manifestant perd son œil gauche
« Nous avons une police très républicaine, extrêmement formée à utiliser des moyens spécialisés avec beaucoup de retenue », insiste Christian Galliard de Lavernée, le préfet de Loire-Atlantique. Des propos contredits par la publication sur le site Dormira jamais du témoignage de Quentin Torselli, un charpentier de 29 ans gravement blessé. « Je n’étais pas armé, je n’avais pas de masque à gaz, je n’avais pas de lunettes de protection », relate t-il. « On rentrait, les CRS avançaient, avec les camions et tout le truc, et moi je reculais avec d’autres gens. Je reculais en les regardant pour pas être pris à revers et pouvoir voir les projectiles qui arrivaient. Et là, à un moment, j’ai senti un choc, une grosse explosion et là je me suis retrouvé à terre ». Hospitalisé au CHU de Nantes, Quentin a perdu son œil gauche.
« Un médecin m’a dit que les lésions correspondent à un tir de Flashball et on n’a pas retrouvé d’éclats de grenade », assure le jeune homme. Or, la doctrine d’emploi de ces armes dites « non létales » interdit aux policiers de tirer dans la tête des manifestants. Elles sont soumises à une distance réglementaire. « La liste des blessés et des éborgnés ne cesse de s’allonger », dénonce le Collectif Face aux armes de la police. Quentin envisage des suites juridiques, au pénal ou devant le tribunal administratif, « ne serait-ce que pour que ça n’arrive plus à d’autres » [2].

Deux journalistes blessés portent plainte
Témoin de la scène, Yves Monteil, photographe indépendant et co-fondateur de Citizen Nantes relate que « le manifestant blessé (Quentin, ndlr) a été évacué dans une rue adjacente, au moment où le cordon de CRS avançait dans l’allée principale. Alors qu’une vingtaine de personnes levaient les bras en disant “Arrêtez, il y a un blessé”, les CRS ont continué à progresser dans cette rue adjacente en envoyant des lacrymos et des grenades ». Un témoignage qui concorde avec celui d’un autre manifestant ayant aussi porté secours à Quentin. Le photographe Yves Monteil a lui aussi été touché par un tir de flashball au thorax alors qu’il filmait (son récit ici). Il a déposé une plainte contre X pour « violence volontaire avec arme et complicité de violence volontaire avec la triple circonstance aggravante qu’elle a été commise par un fonctionnaire en charge de l’autorité publique dans l’intention de provoquer une mutilation permanente, en groupe organisé ».
Une autre plainte adressée au Procureur de la République de Rennes émane d’un journaliste de Rennes TV, Gaspard Glanz, blessé aux jambes par l’explosion d’une grenade lancée par la police. Avec sa caméra, il a tourné la séquence de l’explosion. « On se rend compte que l’engin qui explose au pied du journaliste n’est pas une grenade assourdissante, mais une grenade de "désencerclement" » précise Rennes TV. Cette grenade explosive contient 12 à 18 fragments de plastique dur, en plus de sa douille en métal, projetés dans un rayon de 15m autour de l’explosion. « Le problème c’est que cette "arme de guerre" n’est pas censée être utilisée "offensivement", mais uniquement dans des situations "d’encerclement" qui nécessitent un acte "défensif" de la part de la police » souligne la rédaction de la télé locale. Or, comme l’atteste la vidéo, « les CRS étaient ici en ligne à plus de 20m, protégés par un canon à eau ». En clair, de telles grenades n’auraient jamais dû être employées pendant toute la durée de la manifestation.



La peur de porter plainte
D’autres blessés ont décidé de ne pas porter plainte. Comme Carole dont le fils de 10 ans « a eu le pied de cassé par un tir de flash ball, écrit-elle. Trois semaines de plâtre, et traumatisé psychologiquement. » Elle craint qu’elle et son fils ne soient pas pris au sérieux. « Nous ne sommes pas assez "importants" pour que ça aboutisse à quelque chose », confie t-elle. « Beaucoup de personnes ont peur de se mettre en lumière, souligne Geneviève Coiffard Grosdoy de l’association Attac, jointe au téléphone par Basta !. Il y a en qui considèrent que ça ne vaut pas la peine. Pour ma part, je n’ai plus rien à perdre. »
Cette militante sexagénaire a déposé une plainte il y a quinze mois suite à une fracture au doigt, alors qu’une opération d’évacuation de la « zone à défendre » était à l’œuvre (voir son témoignage). Sa plainte n’a toujours pas été traitée. « Nous sommes dans des délais normaux, relativise t-elle. Mais ce qui est plus grave, c’est que la plainte de la jeune femme qui avait eu trois côtes cassées et un poumon perforé à l’été 2011, n’a toujours pas été résolue » (voir ici). Elle voit en l’acte de porter plainte face aux violences policières « un acte politique ». « Mais pour l’heure assure t-elle, l’urgence est à la coopération sur le terrain de toutes les composantes de la lutte contre les expulsions et les destructions ».

Un silence médiatique qui a ses précédents
En octobre 2012 déjà, onze organisations nationales interpellaient le Premier ministre Jean-Marc Ayrault sur « la brutalité employée par la force publique en vue d’expulser, à la veille de la trêve hivernale, les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes ». Un mois plus tard, lors d’une intervention des forces de l’ordre les 24 et 25 novembre, une centaine de blessés sont comptabilisés du côté des occupants. Il faut attendre la lettre manuscrite d’un médecin présent sur place pour attirer l’attention médiatique « sur la gravité des blessures infligées par l’utilisation des armes des forces de l’ordre ».
Ce médecin est finalement reçu le 12 décembre 2012 par le préfet de Loire-Atlantique. L’entrevue dure à peine une heure. « Si ce médecin a été choqué, moi aussi, déclare à l’époque Patrick Lapouze, le directeur de cabinet du préfet en charge du dispositif de maintien de l’ordre. Je n’avais quasiment jamais vu une telle violence chez des manifestants : le blessé le plus grave est un CRS qui va perdre son acuité visuelle ». L’usage de flash-ball et de grenades assourdissantes correspond, selon lui, aux « moyens de défense et de dissuasion les plus percutants et nécessaires ».

Déterminés face à la demande d’évacuation de la zone
Suite à la manifestation du 22 février 2014, le président PS de la région des Pays de la Loire, Jacques Auxiette, a demandé par courrier au président François Hollande d’ordonner l’évacuation de la zone d’aménagement différée (ZAD) dédiée au projet. « Nous sommes plus que jamais résolus, dans l’unité, à défendre les terres, les habitants, les paysans », a rétorqué Julien Durand, président de l’Acipa [3]. « En cas de nouvelle tentative de vidage de la zone, nous poursuivrons avec acharnement la résistance sur le terrain, ensemble, dans le respect de nos valeurs », assure de son côté Geneviève Coiffard Grosdoy. « Nous ne serons pas les initiateurs de la violence, bien que prêts à l’affronter. »
Sophie Chapelle

@Sophie_Chapelle sur twitter

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